Pour en finir avec UNCUT GEMS

Maxance Vincent
9 min readFeb 14, 2020

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Le 29 décembre dernier, au Cinéma Moderne, mon père et moi avons été voir le nouveau film des frères Safdie (Josh & Benny), Uncut Gems. Cela allait être mon 81e film de 2019 vu au cinéma (oui, je n’ai pas de vie), un nouveau record. Lorsque le film fut fini, j’ai brandi mon cellulaire et imploré mes ami(e)s proches et les membres de ma famille à aller voir ce film — j’ai même fait plusieurs publications sur Facebook et Instagram à propos de l’importance de ce film. Résultat : au moins 25 personnes ont vu Uncut Gems dû, en partie, à mon UNCUT GEMSposting sur les médias sociaux. J’ai eu des messages textes et des déclarations en personnes allant de « je JOUIE » (écrit comme cela) à « JESUS FUCKING CHRIST », pour finir avec « MASTERPIECE » (au fait, la seule personne qui n’avait pas aimé le film était mon père). J’étais tellement obsédé par ce film que je l’ai vu au moins 6 fois dans l’espace de 3 jours en torrent lorsque j’étais très malade durant la nouvelle année. Une question vous gratte peut-être l’esprit : POURQUOI parler tant de ce film et d’implorer le monde entier à le voir ? Non seulement Uncut Gems est le meilleur film de l’an 2019, mais aussi un des plus importants de la dernière décennie.

Le cinéma contemporain de la dernière décennie est une amalgamation d’histoires recyclées et d’une créativité moralement inepte. Ce n’est pas mon constat, c’est un fait. De moins en moins de films adoptent des structures inventives pour du contenu prévisible. Des films comme Green Book et Bohemian Rhapsody, deux des pires films de la dernière décennie, sont sacrés aux Oscars, alors que ceux-ci adoptent une structure qui suit la formule cliché des scénarios que nous apprenons dans nos cours aux études cinématographiques (Bohemian Rhapsody qui gagne meilleur montage est un pêché capital…regardez le vidéo en bas du paragraphe). Nous récompensons des films qui ne méritent même pas d’être récompensés, voire même acclamés, en plus de perpétuer de l’hypocrisie pure (souvenez-vous de la présidente du HFPA avec un macaron “Time’s Up” et, une heure plus tard, le prix du meilleur film est décerné à Bohemian Rhapsody, réalisé partiellement par un pédéraste. Il a aussi gagné le plus d’Oscars en 2019…). Notre culture de cinéma est en train de décliner et, à cause de cela, peu de films sont réellement innovants. Nous récompensons la familiarité, et non la fraîcheur et la nouveauté.

Le film qui a gagné le prix le plus prestigieux aux Oscars de 2020, Parasite (Gisaengchung), de Bong Joon-ho, innove par son montage dynamique (surtout le montage de la pêche), mais ses problèmes de scénarisation sont flagrants. Joon-ho et son co-scénariste Han Jin-won mettent plusieurs éléments sur la table dans le premier et deuxième acte qu’ils s’enfoncent, progressivement, dans un trou. Rendu au climax et à l’épilogue, ils oublient plusieurs éléments qui auraient dû être mis de l’avant. Résultat : on bâtit notre fin par pure coïncidence au lieu d’être créatif et innovant, en apportant plus de questions qu’en répondre. Parasite est loin d’être le meilleur film de l’année, contrairement à ce que plusieurs critiques et cinéphiles en pensent. On dirait vouloir suivre la vague (ou, comme Francis Nguyen l’appelle, le « Parasite jizz hype train ») au lieu de penser par nous-même. On veut joindre la conversation en disant la même exacte chose, sans nuancer nos propos et faire comme tout le monde. Les listes des meilleurs et pires films de l’année prouve ce point — les mêmes films sont toujours évoqués et la même chose est dite sur ceux-ci, sans autre interprétation et/ou analyse. Le seul critique qui ose défier cette culture est Armond White, mais il est perçu comme étant un « troll ». Alors que tout le monde dit OUI, White n’a pas peur de dire NON. Ce NON quasi-obstinant n’a pas l’air d’être bienvenu, alors que tout le monde dans l’univers de la critique pense avoir raison et n’ont pas l’air d’accepter les opinions qui divergent de celles que la majorité des critiques en pensent.

Uncut Gems rejette toute conception préétablie du cinéma et cette formule familière que la majorité des critiques acclament pour les réveiller de leur somnambulisme. Ce moment poétique est encapsulé par le voyage dans l’Opale, en Éthiopie, jusqu’au côlon de notre protagoniste, Howard Ratner (Adam Sandler), à New York. La colonoscopie d’Howard Ratner est plus importante qu’on le croit — elle vient signaler au public que leur derrière sera serré durant la majorité du film à travers les situations tragicomiques du protagoniste. Pourquoi montrer ce voyage vers le côlon ? Pourquoi monter la colonoscopie d’Howard ? La colonoscopie est le seul moment où nous verrons Howard dans un état de pur calme, mieux encore, de silence. Mais remarquez que ce calme, ce repos, ce silence est artificiel dû à son anesthésie. Dès que Ratner se réveille de sa colonoscopie, nous l’observons dans son parcours de joueur compulsif et la déconstruction du cinéma contemporain commence réellement.

Uncut Gems défie son public en présentant un personnage sans aucune qualité et nous supplie à le suivre durant ses tribulations avec Kevin Garnett et son beau-frère Arno (Eric Bogosian). Je dis défie car, à chaque fois qu’Howard a une opportunité de faire la bonne chose et/ou est dans la bonne voie, il se complexifie ses problèmes qu’il crée lui-même.

1) Utilise l’argent qu’il doit à Arno pour parier sur une partie des Celtics.

2) Donne à Kevin Garnett l’Opale en échange de la bague des Celtics qui l’utilisera pour se récupérer de l’argent, au lieu de dire à KG que l’Opale sera vendue dans un encan et qu’il pourra l’acheter là-bas.

3) Demande à son beau-père (Judd Hirsch) de miser sur l’Opale pour donner envie à KG d’augmenter le prix, alors qu’il finira par avoir l’Opale, sans argent.

4) KG arrive avec l’argent, et, au lieu de la donner à Arno et de dire « merci Bonsoir », décide de miser les 165,000$ sur la partie des Celtics et complexifie encore plus sa situation initiale.

5) Finalement, lorsqu’il gagne par pure chance, il se fait tuer, heureux.

Tout son parcours mènera à sa mort, puisqu’il ne sera jamais capable de payer ses dettes insurmontables. Il continuera toujours son cycle de joueur/menteur compulsif, non seulement en mentant à ses collègues, mais aussi à sa famille en ayant une relation secrète avec une de ses employés, Julia (Julia Fox), qui détruira son mariage avec Dinah (Idina Menzel). Le public est défié à vouloir s’attacher émotionnellement à Howard — mais ne peut pas le faire. C’est une des raisons pourquoi Uncut Gems brille par son scénario intelligent. À chaque fois que nous pensons que la situation retournera au calme, que tout ira bien pour Howard, le protagoniste viendra complexifier sa situation pour aucune raison. Nous avons toujours cette rechute permanente qui justifiera la mort d’Howard. Il y a plusieurs personnes qui m’ont dit que la fin leur a frustrés, mais c’était la seule solution. Le personnage DEVAIT mourir — car il allait recommencer son cycle et ce n’était même pas certain qu’Arno allait avoir l’argent à la fin. Nous le voyons aller depuis 2 heures quelque et comprenons à quel point Howard ne pourra JAMAIS se relever de ses erreurs et apprendre. Howard n’est pas un héros, ni un anti-héros, ou même un antagoniste, il vit dans son propre monde de fantaisie, il est un personnage à part entière de ce New York fictif.

La scène qui encapsule le génie d’Uncut Gems a été exposée par Peter Bradshaw :

« There’s an incredible sequence on the streets of Manhattan — which the Safdies and their cinematographer Darius Khondji shoot with rangy, loose-limbed exuberance — showing Howard getting punched in the throat by one of his debt collectors and then, after a moment of traumatic wheezing, he goes on walking, talking, attempting to bamboozle his assailant with ersatz charm. »

Le moment où Howard essaie de convaincre Arno que tout sera « copacetic » après que son beau-père ait acheté l’Opale, mais se fait frapper dans la gorge, dans le visage et même lancer dans une fontaine, alors qu’il essaie de les rassurer avec son « ersatz charm ». En réalité, tout ce que Howard fait est ersatz par nature — il invente des histoires à n’en plus finir, essaie toujours de ramener chaque tribulation à lui-même en jouant la victime, alors que c’est lui qui victimise les autres — en particulier sa femme et ses enfants.

L’étude du personnage d’Howard Ratner est une des raisons pourquoi Uncut Gems est le meilleur film de 2019 — mais le reste est aussi impeccable. Nous assistons à la rédemption d’Adam Sandler après avoir fait navet après navet avec des nullards comme Jack & Jill (2011, Dennis Dugan) qui a failli ruiner sa carrière à jamais. Il méritait, sans équivoque, un Oscar. Oui, Joaquin Phoenix était excellent dans Joker (2019, Todd Phillips), mais n’a jamais atteint le même niveau de complexité et d’énergie qu’Adam Sandler délivrait dans son jeu — pour une fois qu’il ne fait pas un film pour l’argent. L’énergie et l’éclatement d’Uncut Gems est aussi transposé par son montage dynamique qui vient rajouter au climat palpable d’anxiété, mais c’est surtout sa conception sonore et sa musique d’Oneohtrix Point Never/Daniel Lopatin qui sera étudiée. Cette conception sonore commence tranquillement a être étudiée et mise de l’avant par le critique Michael Freiman :

« Audience members with less patience for multiple characters shouting over one another and ultimately driven to do horrible things to each other will probably zone out, not caring enough about the characters to engage in the painful anti-capitalist parable. It’s not a movie that is meant to be enjoyed. It’s meant to be endured. »

Les personnages n’arrêtent pas de parler un par-dessus l’autre de manière effrénée, sans réel moment de pause. Le seul moment de détente que le spectateur a est lorsqu’Howard est sous anesthésie. Les théories sonores au cinéma sont constamment contredites (surtout le tricercle de Michel Chion qui est jeté à la poubelle) pour créer un nouveau genre sonore (et cinématographique) à part entière, le cinéma d’anxiété.

Avec Good Time (2017), les frères Safdie se sont positionnés comme étant deux jeunes réalisateurs qui ont beaucoup de potentiel (même avant avec des films comme Heaven Knows What et Daddy Longlegs), mais c’est avec Uncut Gems qu’ils sont devenus les réalisateurs du moment. Même si l’Académie décide d’élogier Bong Joon-ho et Parasite, l’impact qu’Uncut Gems aura sur le cinéma contemporain et le cinéma de genre sera plus ressenti que Parasite. Bong Joon-ho est un excellent cinéaste de genre, certes, avec des films comme Memories of Murder (2003), The Host (2006), Snowpiercer (2014) et Okja (2017), mais Parasite n’apporte rien de nouveau dans le genre du suspense (même si Gwenn Scheppler dit que le suspense n’est pas un genre…on s’en fou). La familiarité est un thème récurrent avec les Oscars — la majorité des films qui ont été nommé pour « meilleur film » étaient incroyablement prévisibles (à l’exception de 3…sur 9) et suivaient une structure sans réelle innovation. Pour une fois que nous avons un film qui innove, non seulement sur le point de vue de la forme avec ses prises de vues psychédéliques (voyage dans l’opale) et dynamiques — son montage serré qui représente parfaitement le climat de tension que nous devons ressentir, en plus d’une distribution impeccable qui magnifie l’écran (Julia Fox est devenue une star après ce film et Idina Menzel livre la meilleure performance de sa carrière cinématographique et théâtrale) et d’une musique et conception sonore non-conformiste.

Les frères Safdie semblent vouloir se débarrasser du conformisme qu’envahit les salles et remettre en question le cinéma Hollywoodien au complet. Peu des « majors » prennent des risques avec leurs films et préfèrent vendre des produits fabriqués pour être dévorés par des consommateurs crédules jusqu’au prochain. « Case in point » : Star Wars. The Last Jedi (2017) de Rian Johnson a adopté l’anticonformisme et a essayé de défier ses fans en détruisant leurs idées préconçues qu’ils avaient fabriqués après la sortie de The Force Awakens (2015, J.J. Abrams). Résultat : The Rise of Skywalker (2019, J.J. Abrams) a essayé de satisfaire le plus grand nombre de fans possible au lieu de prendre des risques et de remettre en question leur pensée. A24 semble être le seul studio qui ose défier son public, en prenant le plus grand nombre de risques possibles et en offrant des histoires originales, qui sortent du cadre préétabli des majors qui veulent juste vendre un produit sans réelle créativité et innovation (ex : les remakes de Disney). L’argent est rendu la raison centrale qui poussera un studio à faire des films, alors que plusieurs réalisateurs qui innovent et qui veulent emmener des nouvelles idées à Hollywood n’auront jamais la chance de le faire. C’est pour cela que j’ai imploré partout qu’Uncut Gems doit être vu.

Finalement, nous avons un film qui ose dire NON au conformisme d’Hollywood et apporte quelque chose de différent à la panoplie de films qui se ressemblent les uns les autres. Ce NON quasi-obstinent doit être de mise dans la décennie de films à venir et dans la vision de futurs réalisateurs, et pas juste dans le monde de la critique. Il ne faut jamais avoir peur d’innover et de remettre en question la familiarité du cinéma. Sans cela, nous n’allons jamais avancer.

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Maxance Vincent
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Written by Maxance Vincent

I currently study film and rant, from time to time, on provincial politics.

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